3. Perspective longue : des crises répétées accompagnent la financiarisation de l’économie depuis les années 80


A. Avec la financiarisation de l’économie depuis le tournant des années 1980, les crises ont été très nombreuses

 

 

Dollar

Crises de change dans les pays émergents

SME Euro

Autres

1985

Crise de surévaluation du dollar

 

1987

Krach boursier de Wall street et contagion mondiale

1992

Stabilité

 

Crise du SME en phase pré euro

Crise bancaire japonaise

1993

1994

Mexique

 

1995

Appréciation

"Effet Tequila" : Brésil, Chili, Argentine

1996

 

1997

Asie du Sud-Est : Thaïlande, Malaisie, Indonésie, Corée, Philippines

1998

Russie

1999

Brésil

2000

Turquie

e-Krach

2001

Argentine

2006

Dépréciation

 

Crise de l’immobilier

2007

Début de crise des subprime

2008

Rebond de la crise des subprime

2010…

 

 

 

 

Crise des finances publiques

Les travaux récents de C. Reinhart et K. Rogoff montrent sans ambiguïté que lors des phases de libéralisation forte des mouvements de capitaux, le nombre de crises financières et leur intensité croït en mêmen temps. Et réciproquement.

C'est une loi empirique robuste (robuste = qui résiste à la réfutation).

(Leur ouvrage de 2009 a été traduit en français : Cette fois, c'est différent ; huit siècles de folie financière, par C. Reinhart et K. Rogoff, éditions Pearson, octobre 2010)

 

Présentation par C. Reinhart dans un article en ligne, en français, sur Télos.

 

B. Avec la financiarisation de l’économie depuis le tournant des années 1980, les crises ont changé de nature


1) Avant les années 1970 et 1980 jusqu’au tout début des années 1990, les fluctuations sont liées à l’inflation et à la réaction des banques centrales face à l’inflation

Avec la croissance économique (« case départ » sur le schéma infra), il y a une utilisation forte des capacités productives (Le taux d’utilisation des capacités productives s’élève) et le chômage baisse ; on approche du plein-emploi. Ceci est renforcé par des politiques économiques expansionnistes et le fait que l’objectif de plein-emploi est un objectif poursuivi par les gouvernements.

Cela provoque des tensions sur le marché du travail : les salariés avec un rapport de force favorable dans un contexte de plein-emploi demandent des augmentations de rémunération. Il y a donc des tensions sur le marché du travail : les coûts salariaux augmentent et de l’inflation apparait.

La banque centrale remonte alors son taux de refinancement dans le cadre d’une politique monétaire plus restrictive face à l’inflation ; il y a une hausse des taux d’intérêt ce qui provoque un recul de la demande et de l’activité, et ultérieurement la hausse du chômage et le freinage du salaire et de l’inflation.

Les taux d’intérêt peuvent alors baisser progressivement et il y a un redémarrage de l’économie.

 

Les situations des Etats-Unis et de l’actuelle zone euro depuis les Trente glorieuses et jusqu’au début des années 1990 étaient liés à cet enchaînement.

Il s’agissait donc de cycles liés à l’interaction entre les tensions sur les marchés des biens et du travail et la politique monétaire.

 

2) A partir du début des années 1990, la donne change et ce n’est perçu qu’avec retard : la financiarisation du cycle (des fluctuations)

a) L’illusion de la fin des fluctuations

Sur les années 1990, la variabilité économique a beaucoup diminué dans les pays de l'OCDE, ce qu'on a appelé la "grande modération (Great moderation)". L’impression de moindre volatilité de la croissance, de l’inflation, des taux d’intérêt a donné l’impression d’une « fin des cycles sur les années 1990. La mécanique précédente s’observe bien moins.

Mais en fait, c’est le mécanisme des fluctuations qui a changé. Depuis la fin des années 1990, la volatilité est revenue, essentiellement sur les marchés financiers.

On semble donc assister à la fin de la "grande modération". Il s’agissait d’une erreur d’analyse : les cycles ne passent plus par le lien inflation – taux d’intérêt mais par le crédit et les prix des actifs, et il y a toujours des fluctuations***.

 

b) Les cycles prennent une autre nature, financière

Aujourd’hui, les périodes d’expansion sont liées aux hausses conjointes de l’endettement et des prix des actifs, et les expansions s’arrêtent lorsque l’endettement excessif et les prix d’actifs trop élevés déclenchent une correction. Il y a alors désendettement et chute de la demande, puis redémarrage de l’économie lorsque d’autres agents économiques s’endettent et que d’autres prix d’actifs augmentent.

Ce sont des phénomènes dits de bulle (rationnelles pour les uns, assurément beaucoup plus mimétiques) qui se succèdent, ayant pour point de départ une situation de liquidités très abondantes (« case départ » dans le schéma infra ).

La hausse de l’endettement est liée à la hausse excessive des prix des actifs, actions en 1987, bulle Internet 2000, immobilier de 2003 à 2007 et la crise est déclenchée par la baisse des prix des actifs qui révèle la situation d’excès d’endettement, des entreprises au début des années 2000 (d’où le déclenchement de la crise par la chute de la demande des entreprises), des ménages en 2007 – 2008 (d’où le déclenchement de la crise par la chute de l’investissement logement).

 

 

Ainsi, en conclusion :

 

Les fluctuations ont changé de nature

On est passé d’une situation (années 1970 – 1980) où les périodes d’expansion étaient arrêtées par les poussées d’inflation et les réactions liées de la politique monétaire, à une situation (années 1990 – 2000) où elles sont arrêtées par la correction des excès d’endettement et des bulles sur les prix des actifs.

 

Les différences avec le passé viennent

  • de l’abondance de la liquidité mondiale (« case départ sur le schéma page précédente »). En effet, en l’absence d’inflation, les politiques monétaires restent expansionnistes dans les périodes de croissance : les liquidités sont abondantes. Les taux d’intérêt ne sont jamais supérieurs aux taux de croissance, ce qui permet la forte hausse de l’endettement. L’abondance de la liquidité mondiale favorise l’endettement et la hausse des prix des actifs.
  • de la plus grande flexibilité de l’offre de biens et de services (avec la concurrence des émergents, les déréglementations des marchés des biens…) qui implique qu’un déséquilibre monétaire ne fait plus monter les prix des biens mais les prix des actifs, dont l’offre est rigide.


La dynamique cyclique liée aux bulles sur les prix des actifs est beaucoup plus dangereuse que celle liée à l’inflation : trois raisons

  • Dans la dynamique cyclique passée, les récessions survenaient lorsque la tension sur les marchés du travail et des biens était forte, puisque cette forte tension faisait apparaître l’inflation qui causait la récession (en raison de la réaction des taux d’intérêt). On avait donc normalement un taux de chômage faible lors des retournements cycliques.

Dans la dynamique financière des fluctuations, l’explosion d’une bulle sur un prix d’actifs (ou la correction d’un excès d’endettement) n’a pas nécessairement lieu lorsque le plein emploi est atteint, puisqu’il s’agit d’une réaction au niveau de valorisation et d’endettement, pas à la situation du marché du travail. La croissance peut être alors bloquée pour des raisons purement financières.

 

  • On connaît les dangers associés à l’inflation : déformation du partage des revenus entre salaires et profits, perte de compétitivité, transfert de revenu entre prêteurs et emprunteurs (sens variable).

Mais les dangers associés à l’éclatement des bulles sur les prix des actifs et à la correction des excès d’endettement semblent beaucoup plus graves.

 

  • Dans le passé, on l’a vu plus haut, les récessions déclenchées par les taux d’intérêt faisaient baisser l’inflation, d’où des baisses de taux d’intérêt qui faisaient repartir l’économie. Ceci était d’autant plus facile que, si les taux d’intérêt ne suivaient pas complètement l’inflation, l’inflation réduisait les taux d’endettement et permettait que le crédit redémarre après la baisse des taux d’intérêt.

Aujourd’hui, depuis la disparition de l’inflation, les taux d’endettement progressent. Et pour que la croissance reparte après l’explosion de la bulle sur un prix d’actif, il faut que le prix d’un autre actif remonte, ainsi que l’endettement associé. On ne peut pas en effet imaginer qu’un actif dont le prix vient de chuter puisse faire rapidement l’objet d’une nouvelle demande de la part des investisseurs.

 

 

 

Mais il s’agit là aussi de bulles qui vont éclater. Le risque est alors clairement l’épuisement de la liste de tous les actifs dont les prix peuvent remonter et faire repartir l’économie par les effets de richesse associés.

Que se passerait-il si la liquidité ne pouvait plus être investie nulle part, sur aucun actif ? Il y aurait alors un équilibre déflationniste sans reprise de la croissance.

 

 

 

 Fin du cours : merci et peut-être à l'année prochaine !