2/ Les effets ambivalents sur la croissance (1992-2001)

a/ Dans un premier temps (1992-1996), le processus a joué contre la croissance

La critique, (En France : P.A. Muet et J-P. Fitoussi), est que la marche vers l’euro s’est faite de la pire des façons. Chaque pays a mené une politique restrictive destinée à assurer la convergence imposée par Maastricht (ajustement interne). L’effet est plutôt récessif du fait de l’interdépendance conjoncturelle de ces situations peu coopératives.

Les pays pour satisfaire les critères privilégient les objectifs de prix stables et d’équilibre extérieur (pour ne pas déstabiliser le taux de change : liaison balance des paiements –taux de change) - Référence aux quatre objectifs de la croissance équilibrée représentés à travers le « carré magique » par N. Kaldor.

 

A l’opposé, une coordination de ces politiques avec une stimulation généralisé de l’activité compatible avec la stabilité des prix (stratégie coopérative) aurait permis de converger « par le haut » (avec croissance vigoureuse et chômage réduit) et non « par le bas » (« croissance molle », selon l’expression de Jean-Paul Fitoussi, et chômage élevé).

Pour chaque pays de la zone euro, il y a assainissement de l’économie : le processus de désinflation, déjà entamé dans les années 1980, est renforcé mais la croissance réelle est restée en deçà de la croissance potentielle, ce qui est sous-optimal.

Pour l’ensemble de la zone, il y a dégradation des performances vis à vis des Etats-Unis. La tendance au rattrapage des Etats-Unis, qui avait marqué tout l’après-guerre, s’est inversée, particulièrement dans les années 1990 : au début des années 1980, le PIB par habitant de l’Europe des quinze représentait 70 % de celui des Etats-Unis ; en 2001, il n’en représentait plus que 65 % (en parité des pouvoirs d’achat [= corrigé des écarts de niveau de prix]).

 

b/ Dans un deuxième temps (à partir de 1997/98), l’effet favorable sur la croissance a dominé

Le processus a fini par être crédible, ce qui a contribué à la reprise de la croissance.

La poursuite obstinée des politiques de stabilité à moyen terme (prix, change, finances publiques) et la convergence en marche ont fini par convaincre les opérateurs sur les marchés de capitaux. Par conséquent, ils ont exigé des taux d’intérêt à long terme de moins en moins élevés d’où un effet favorable à l’investissement. Une manifestation nette de cette crédibilité a été l’attitude des marchés lors des crises financières de 1997 (crise asiatique) et 1998 (Russie, Brésil) : l’Europe a alors été considérée comme un « habitat sûr» : une partie des capitaux s’y est réfugiée (« flight to quality »).

 

En juin 1997, le traité d’Amsterdam, pose le principe d’une coordination des politiques économiques. On retrouve, à côté des préoccupations monétaires et financières, des préoccupations « réelles » : on ajoute un chapitre « Emploi » au traité de Maastricht (il est reconnu comme un « sujet d’intérêt commun », le pacte de stabilité budgétaire de 1996 devient officiellement le « pacte de stabilité et de croissance » à l ‘initiative de la France. On retrouve la notion de « croissance équilibrée » (Kaldor), qui était quelque peu tombée en désuétude dans ces années où la préoccupation de la stabilité monétaire (désinflation et stabilité des changes) avait pris le dessus.

Cependant l’application reste timide. On en reste au plan des principes ; il n’y a pas unanimité pour s’engager dans une coopération active (problème des institutions). En décembre 1997, il y a création du Conseil de l’euro ou « Eurogroupe » afin de permettre une meilleure coopération entre gouvernements des pays membres de la zone monétaire (en particulier en matière de politique budgétaire). Mais il s’agit d’une simple structure de coordination, informelle, sans pouvoirs réels.

 

Il y a donc une asymétrie nette, dans la zone euro, entre :

  • la politique monétaire, décidée de manière unique par la BCE, totalement indépendante des Etats et dotée de pouvoirs forts
  • la politique budgétaire, décidée de manière nationale donc dispersée et médiocrement coordonnée par ce Conseil de l’euro au statut et aux compétences incertaines

L’Union européenne souffre déjà d’un problème de gouvernance. Si l’on avait appris qu’une zone commerciale avancée ne pouvait pas être viable sans intégration monétaire avancée, les années à venir vont faire réaliser qu’une Union économique et monétaire ne peut être viable sans coordination politique adaptée. La gouvernance va être le talon d’Achille de l’Europe pour des années.

 

c/ Dans un troisième temps, avec le lancement de l’euro (période de transition, 1999 - 2001) les effets favorables de la monnaie unique se confirment

La politique monétaire retrouve son autonomie : elle n’est plus monopolisée par la défense de la stabilité du change entre différentes monnaies européennes puisqu’elles se sont fondues dans l’euro. (Le triangle d’incompatibilité de Mundell ne s’applique plus désormais aux relations des pays de la zone euro entre eux : il n’y a plus de taux de change entre eux).

D’où la possibilité de remobiliser la politique monétaire au service d’une croissance plus vigoureuse et équilibrée (stabilité des prix) : on le perçoit dans la politique initiale assez pragmatique de la BCE qui a diminué les taux d’intérêt à court terme à plusieurs reprises. La mise en place de l’euro a desserré la contrainte extérieure financière.

 

Très rapidement, la confiance des détenteurs de capitaux dans la nouvelle monnaie a été importante. Cela s’est vu lors de la dépréciation de l’euro qui passe de 1€ = 1, 20 $ en janvier 1999 lors de son lancement à 1 € = 0, 80 $ environ à la fin 2000 sans que la BCE et le Conseil de l’euro ne remontent les taux courts ou que les taux longs ne remontent sur le marché financier. (Précisons que l’euro se déprécie parce que le dollar s’apprécie…)

 

Attention à ne pas exagérer le gain de compétitivité-prix représenté par la dépréciation initiale de l’euro par rapport au dollar : les pays de la zone euro commercent avant tout entre eux (leur commerce extérieur est largement intra zone). Cependant, le taux de change de l’euro par rapport au dollar reste une variable de décision importante pour beaucoup d’entreprises opérant sur le marché mondial (globalisation des échanges et globalisation des firmes). D’où l’intérêt des Européens à gagner en autonomie dans ce domaine (arriver à ce que progressivement l’euro deviennent une monnaie de facturation et de règlement des échanges.

 

 

 

3. En guise de conclusion, perspectives sur les difficultés de l’Union européenne

Déjà avant la crise du subprime de 2007-2008, les problèmes étaient là. Ils ne relèvent pas que de l’euro.

 

A. Un problème de gouvernance : les tiraillements entre élargissement et approfondissement

1) La gouvernance de l’ensemble ne fonctionne pas covenablement

a) De nouveaux élargissements

2004 : 10 pays rejoignent l’UE

2007 : 2 de plus

L’UE est à 27. (en attendant Croatie 2013, et ceux qui sont en procédure d’adhésion)

L’élargissement a avancé sans que l’approfondissement soit à la hauteur.

 

Il faut cependant noter que les adhésions ont été bien préparées, du fait de l’expérience du passé et que cela s’est fait sans grand dommage au bénéfice mutuel des entrants et des anciens membres.

b) Les institutions ne suivent pas : l’approfondissement est chaotique

Une convention sur l’avenir de l’Europe, qui réunit une centaine de délégués est chargée de rédiger un projet de constitution. Elle a abouti à un projet de constitution, présenté en juin 2003, et finalement adopté par le conseil européen en juin 2004. Mais C’est l’échec de la ratification en 2005.

 

Une solution minimale a été adoptée en décembre 2007 : un traité simplifié, ne reprenant du projet de 2004 que les dispositions institutionnelles, celles pour lesquelles il y avait un consensus assez large. Il est finalement adopté après des péripéties sous le nom de Traité de Lisbonne.

 

Ces quelques progrès dans l’organisation de la prise de décision ne donnent pas encore à l’Union européenne un fonctionnement institutionnel et démocratique satisfaisant.