2/ Analyse : cette situation est insatisfaisante (sous optimale)


a/ problème : elle génère des coûts improductifs (coûts directs)

Les coûts productifs sont la contrepartie de la production d’un supplément de bien être, il est normal de supporter des coûts privés et publics. Comme ces coûts sont productifs, qu’ils sont la contrepartie d’une production, leur existence n’est pas mise en cause (même si chaque entreprise s’efforce de les réduire).

Par contre, les « coûts improductifs » ne correspondent pas à une production de biens supplémentaires, donc ils ne correspondent pas à une amélioration du bien être, au sens où, si on arrivait à supprimer la cause de ces coûts, le bien être serait tout de même maintenu au même niveau.
Ainsi, les différents obstacles à l’échange dans la CEE se traduisent directement par des coûts supplémentaires improductifs.

  • privés (ex : contrôles douaniers = pertes de temps, rémunération d’intermédiaires en douane)
  • publics (rémunération des douaniers, entretien des installations aux frontières)

Les producteurs sont bien obligés de répercuter ces coûts dans les prix de vente (prix de revient plus élevé, impôts). Au total, l’acheteur final paie plus cher sans avoir un gain en contrepartie.


b/ 2ème problème : un manque à gagner (coûts indirects)

Idée générale : en plus de payer plus cher, l’acheteur ne bénéficie pas des baisses de prix (et autres gains hors prix) qu’il pourrait obtenir si le marché était véritablement unifié, commun. Les gains à l’échange sont incomplets.
Les deux grandes théories des échanges internationaux, à partir de raisonnements différents, convergent sur ce point.

Lorsqu’il existe des obstacles à l’échange, les effets favorables du libre-échange ne jouent pas au maximum (sous optimalité). Pour ces différentes raisons, il faut éliminer les obstacles à la libre circulation qui subsistent entre pays de la CEE (on ne dit pas encore l’Union européenne). En d’autres termes, il faut achever la construction du marché unique, il faut mettre en place un véritable grand marché.


b) Les mesures de réalisation effective du Grand marché

Au début des années 80, l’objectif de 1957 d’un marché commun n’est qu’à moitié en panne et le contexte de crise provoque un repli sur soi : le temps n’est pas à la poursuite de l’approfondissement.
Sur proposition de la Commission européenne animée par un ardent partisan de l’intégration européenne en la personne de son président J. Delors,, les États membres décident cependant « d’achever le Grand marché intérieur » et de prendre les mesures nécessaires pour réaliser le projet des fondateurs.
Cette dernière étape de la construction du marché commun se donne une échéance au 1° janvier 1993. Cette dernière étape de création du Marché commun de 1957 va s’avérer être en même temps la première étape d’une construction plus ambitieuse encore : l’Union économique et monétaire***.


1/ Les textes fondateurs


a/ Un traité international  l’Acte unique européen (1986)

Sur proposition de la Commission (1985), environ 300 propositions de mesures sont adoptées (1987) pour « achever le marché intérieur ».
Elles sont rassemblées dans un acte dit « unique » car on règle avec un seul texte les insuffisances propres aux  trois traités instituant le marché unique (CECA, CEE, Euratom [énergie atomique]).


b/ Un rapport technique : le rapport Cecchini (1988)  

Parallèlement, pour convaincre les autorités nationales qui pourraient être encore réticentes, la Commission demande à une groupe d’experts présidé par l’économiste Cecchini, un chiffrage de ce que fait perdre le caractère inachevé du grand marché (les « coûts de la non Europe »).
Ce rapport, publié en 1988, alors que le principe de l’achèvement est déjà adopté, a le mérite d’affiner l’analyse des effets positifs du grand marché et donc les inconvénients de sa non réalisation. L’argumentation est directement inspirée d’A. Smith et de sa notion de « grand marché.
Ce rapport conclut que le gain total attendu de la réalisation complète du grand marché est important : 5% du PIB de la CEE.


2/ Le contenu des mesures de libéralisation

La libre circulation est améliorée par diverses mesures (dont l’application par chaque pays et la mise en œuvre effective s’étale sur plusieurs années ; en fait, elle dure encore (cf. infra).
Elles reposent avant tout sur la conviction que la concurrence est le cadre optimal de l’activité économique, à condition qu’elle soit organisée et régulée.
Les mesures sont nombreuses. On se borne ici à en donner quelques exemples, répondant aux problèmes évoqués précédemment. Attention ! Ces mesures ne concernent que les relations entre pays membres de la CEE (puis de l’UE).


a/ Libre circulation des produits

Les biens : suppression des barrières techniques et douanières restantes


Les services : ouverture à la concurrence (déréglementation, libéralisation) ; à réaliser progressivement ; ouverture rapide à la concurrence (les transports aériens : désormais les compagnies publiques/privées, nationales/étrangères, peuvent opérer à la fois dans les transports de pays à pays et à l’intérieur des pays membres. les télécommunications : la société jouissant antérieurement d’un monopole (l’ « opérateur historique ») est mise progressivement en concurrence avec d’autres opérateurs du pays ou d’autres pays membres. Ouverture mise en place plus progressivement : distribution de l’électricité, téléphonie. Cela se traduit par une liberté complète de création de filiales (IDE) dans les pays membres (IDE).

Attention !  Libéralisation et ouverture à la concurrence ne veulent pas dire forcément privatisation lorsque le statut de l’entreprise concernée est public. Ce qui est concerné, c’est le degré de concurrence, pas le statut de la propriété du capital (les propriétaires peuvent être publics ou privés)


b/) Libre circulation des facteurs de production

Le travail (« les hommes ») : il y a activation du processus de reconnaissance mutuelle des diplômes et d’uniformisation des cursus universitaires. Les contrôles frontaliers sur les personnes (accords de Schengen en 1991) sont supprimés entre les pays membres) mais renforcés aux frontières extérieures de la Communauté (volonté de maîtriser les flux migratoires et les trafics illicites).


Le capital (et les services financiers) : il y poursuite et intensification du mouvement de libéralisation déjà engagé Remarquez qu’il s’inscrit dans le mouvement général de « globalisation financière ».


3/ Les mesures d’accompagnement

La mise en place et le fonctionnement du grand marché ne vont pas sans problèmes, à la fois globaux et spécifiques. Ce qui pose le problème de sa « gouvernance » : il a besoin d’être encadré par des mesures publiques tenant compte des intérêts divergents des diverses parties prenantes.

  • Les règles de fonctionnement (la prise de décision, le respect de la concurrence)
  • Les mesures destinées à favoriser la cohérence : Charte sociale européenne (1989), politique régionale de cohésion


4/ Des problèmes persistent

Malgré ces mesures, l’achèvement du marché intérieur reste encore incomplet Malgré les progrès considérables, il existe encore des obstacles résiduels à la libre circulation des marchandises dus aux normes nationales.
Il y a des obstacles résiduels à la libre circulation des Hommes (et donc à l’échange de services nécessitant l’établissement dans le pays où le service est fourni)..
Ce sont les obstacles monétaires que l’intensification des échanges rend encore plus insupportables. Il y a des coûts improductifs liés à la diversité des monnaies : coûts de change, coûts de couverture contre le risque de change, coût économique de la lutte contre la spéculation (mesures de rigueur pour rassurer les détenteurs de capitaux et calmer la spéculation). Ce constat renforce alors le projet de monnaie unique, complément indispensable du marché unique.***



Sur bien des points, on est aux antipodes du projet fondateur de l’Europe : créer des liens, des solidarités
L’harmonisation fiscale décidée dans son principe est mal réalisée dans les faits pour diverses raisons :

  • idéologiques : les pays gouvernés par des équipes inspirées par les idées peu interventionnistes s’opposent au développement d’une législation du travail et d’une fiscalité protectrice et redistributive au plan européen (position constante de la G-B)
  • institutionnelles : il s’agit de domaines pour lesquels l’unanimité est requise, ce qui permet à certains pays de bloquer l’évolution (le problème ne fait que s’aggraver au fur et à mesure que le nombre des pays membres s’accroît)
  • stratégiques : une stratégie de « moins disant » fiscal ou social, manière de se forger des avantages comparatifs qui permette de développer des activités financières (Luxembourg, paradis fiscaux européens [Monaco, Iles anglo-normandes, …]), commerciales (ex l’Andorre) ou industrielles (les plus importantes du point de vue de l’emploi avec des risques de délocalisation).


Des comportements de passager clandestin fragilisent l’édifice. C’est le cas de la GB qui exige une réduction de sa contribution au budget européen (paie moins mais profite de la construction européenne), attire les travailleurs étrangers par des prélèvements obligatoires plus faibles mais reportent sur d’autres pays le fait de se faire soigner pour ceux qui le peuvent (Nord et Ouest de la France).
La France attachée aux subventions agricoles fait un casus belli de toute réforme de la PAC, provoquant en retour de nouvelles crispations britanniques (M. Thatcher : « I want my money back »)



Les moyens budgétaires européens sont extrêmement faibles par rapport aux besoins (1.2% du PIB européen). Une grande partie du budget est consacré au soutien des prix agricoles, aux dépens d’autres dépenses plus porteuses d’avenir pour la Communauté.