L'Europe est-elle condamnée à être une économie de services ?

 

(cf. Archives 2011-2012, Thème 1 : la désindustrialisation)

 

 

1. On observe un double mouvement :

  • Diminution de l’emploi manufacturier et baisse de la part de l’industrie dans le PIB (« désindustrialisation ») : après une hausse à compter de la révolution industrielle - sans jamais dépasser 40% de l’emploi en France -, on observe une baisse depuis la fin des années 1960
  • Augmentation du nombre d’emplois dans le secteur tertiaire et augmentation de la part des services dans le PIB, depuis la fin du XIX° siècle. Le secteur tertaire est majoritaire à compter de la mi XX° siècle

 

Ce double mouvement est présent en France, en Europe et dans les grands pays développés.

  • En France
  •  En 1980, la France comptait plus de 5,1 millions d’emplois alors qu’elle en compte 3,1 millions en 2008, avant la crise récente. Entre 1980 et 2008, la France a donc perdu presque 2 millions d’emplois manufacturiers, soit une diminution relative de 38%.
  • De même en 1980, la part de la valeur ajoutée manufacturière dans le PIB s’élevait à 19,2% diminuant à 14,7% en 2008, soit une baisse de 23%. Toutefois, la baisse de la part de la valeur ajoutée dans le PIB ne doit pas être confondue avec la baisse de la valeur ajoutée elle-même. Entre 1980 et 2008, la valeur ajoutée manufacturière en volume a augmenté de 36%, ce qui avec la baisse concomitante de l’emploi manufacturier, révèle des gains de productivité du travail tout à fait substantiels.

 

  • Chez nos partenaires : si on prend la période 1992-2008,
  • La France comme l’Allemagne observent une baisse de 21% de l’emploi manufacturier. Le niveau allemand reste atypique, une exception et n,on un modèle
  • Le Royaume-Uni et le Japon une diminution de 31 et 28% respectivement.
  • Les Etats-Unis connaissent une baisse de 18% et l’Italie de 6%. Ces pourcentages cachent des volumes d’emplois perdus très importants
  • Alors que la France détruit ainsi presque 900 000 emplois, l’Allemagne en perd plus de 2 millions, les Etats-Unis 3,3 millions et le Japon 4,3 millions.

 

2. A partir de ces constats, une interrogation se fait jour quant à savoir si l’Europe est-elle condamnée à être une économie de services ?

Ce qui est dans le miroir la question de l’inquiétude face à ce qui est perçu comme une désindustrialisation. C’est le terme « condamnée » qui n’est pas encourageant.

 

Assiste-t-on à la fin de l’industrie du fait de l’augmentation statistique des activités dite s de service ?

Cette dynamique est-elle européenne, par rapport à nos partenaires développés et aux pays émergents.

 

3. Il s’agit de voir (rapidement) dans un premier temps que cette évolution industrie - services depuis les années 1980 correspond à une mutation de l’appareil productif comme il y en a eu plusieurs dans l’histoire et dans un second temps que il faut reconsidérer la conception et la place des services sans quoi on ne peut comprendre les transformations à l’œuvre.

 

 

1. Le mouvement dit de désindustrialisation depuis les années 1980 est dû à une triple dynamique de mutations de l’appareil productif, commune aux pays développés

Un phénomène non spécifique à l'Europe et commun aux pays développés

Un de plus : l’histoire économique nous apprend que les appareils productifs connaissent perpétuellement des transformations plus ou moins importantes. Nous jugeons ce qui se passe au regard d’une vision « Trente glorieuses » qui serait la norme : problème

 

A. Désindustrialisation et tertiarisation sont liées du fait de l’externalisation d’activités industrielles

 

Le phénomène d’externalisation : faire ou faire faire (R. Coase), dans la logique de spécialisation depuis A. SmMith 1776

 

Un effet de nomenclature induit

 

B. L’industrie connaît de très forts gains de productivité la poussant à économiser des emplois

 

Progrès technique comme responsable

 

Baisse des prix relatifs très important d’où valorisation à la baisse des valeurs de l’industrie

 

A moduler selon le positionnement en gamme des produits industriels et les prix en conséquence

 

C. La deuxième mondialisation moderne depuis les années 1980 donne de nouvelles opportunités dans la division internationale du travail

 

Les délocalisations sont souvent montrées du doigt : elles représentent 5 à 7% de l’emploi industrie perdu en France, et paradoxalement bien plus en Allemagne

 

Le phénomène le plus important c’est la DIPP, mais DPP avant tout, I si l’opportunité est là

 

Ne pas exagérer cependant au regard du facteur 2) le plus important : le modèle d’exportation à outrance des émergents est insoutenable : recentrage sur leur marché intérieur et les besoins de leur population.

 

 

2. Il faut revoir la compréhension des activités de service

 

A. Cette mutation de l’appareil productif interroge sur les sources de créations d’emplois

 Les emplois de fabrication pure cèdent la place à des emplois de gestion de la fabrication (de la conception à la distribution) ; ces emplois sont des emplois qualifiés qui demandent une formation des personnes. Mais il y a déjà trente ans que l’industrie ne fait plus ou peu appel à des emplois non qualifiés.

 

Les services ont en même temps créés de nombreux emplois en volume équivalent aux pertes industrielles. Ces nouveaux emplois ne sont pas toujours très qualifiés et bien rémunérés : n’idéalisons pas cependant les emplois d’OS perdus…

 

Les services aux entreprises sont souvent des emplois qualifiés à très qualifiés ; les services aux ménages comportent des emplois qualifiés mais de nombreux emplois peu qualifiés. Les premiers nécessitent des actions de formation intenses, les seconds également pour leur partie qualifiée mais l’écueil pour la partie qualifiée est que cela demande du savoir être dans la relation à la personne : la formation par l’école n’est pas le premier vecteur de cette compétence, c’est une question d’éducation familiale qui conditionne en partie cette employabilité.

 

 B. Les services sont inséparables des biens dans de très nombreuses situations : séparer industrie et service nous empêche de comprendre les évolutions en cours

 

1) La distinction biens – services est inopérante : la notion de produit

La catégorisation entre biens et services héritée des années 30 et des travaux de C. Clarck et J. Fourastié sur les secteurs primaires, secondaires et tertiaires est aujourd’hui inadaptée et déforme notre vision et notre compréhension. Certains macroéconomistes, les commentateurs sur données globales et population sont prisonniers de cette partition : bien ou service, avec un ou exclusif.

 

 Par contre, les entreprises et les formations aux métiers de l’entreprise parlent depuis longtemps de produit, comme un mix de bien et services. Exemple.

 

2) Les services complémentaires des biens : la « servitisation »

 Le phénomène de servitisation : les produits manufacturés incorporent une quantité croissance de services (40% en moyenne).

 

 Dans le phénomène de division des processus productifs, internationale de surcroît, la tendance des entreprises est à se recentrer sur les activités à plus forte valeur ajoutée (souvent des services à et à externaliser d’autres activités (industrie ou service).

 

Des emplois relevant de fonction de services, autrefois attribués au secteur manufacturier, sont requalifiés en emplois de service alors que la tâche productive sous-jacente n’a pas changé et ceci indépendamment de la localisation à l’étranger.

 

 La production de services des entreprises manufacturières est un élément qui augmente leurs performances. La servitisation est un facteur de compétitivité : on ne peut pas s’en dispenser. C’est ce qui concourt à la montée en gamme, au service client.

 

 Conclusion

 « Il apparaît que la dichotomie entre industrie et services devient de plus en plus inapte pour décrire la dynamique de l’emploi et la spécialisation productive des économies. Une approche en termes de fonctions productives qui déclinerait l’emploi selon qu’il relève des activités proprement de fabrication des autres activités comme les services de transport ou de logistique, les services administratifs de support ou encore les services de R&D, permettrait une meilleure appréhension des qualifications et des avantages comparatifs d’une nation.

 

 Plus généralement, le dynamisme des services et leur prégnance croissante dans la production et les exportations leur confèrent une place de plus en plus centrale dans la croissance de l’économie. Le renforcement des statistiques relatives à la production et aux exportations de services ainsi qu’une amélioration de l’appréciation de la productivité dans les services sont des préalables à une meilleure compréhension du rôle des services dans la croissance et des leviers à activer. »

S. Guillou, Le recul industriel trouve-t-il son explication dans la dynamique des services ? , OFCE, 10 mai 2016