3) Le problème du coût social et des externalités  

 

a) La notion d’externalité

Le raisonnement néoclassique en termes d’équilibre de marché postule que les décisions des agents économiques individuels n’ont pas d’effets sur la satisfaction des autres agents, l’interdépendance entre agents ne se manifestant que dans les échanges sur les marchés. Quand le prix de marché est fixé, les décisions de consommation ou de production des individus n’affectent pas l’utilité des autres.
Dans la réalité, il existe des interdépendances directes entre l’utilité des individus : c’est ce que l’on appelle des effets externes, des externalités.

La notion a été forgée par A. Marshall et utilisée par A.C. Pigou dans son ouvrage, Économie du Bien-être, en 1920 pour devenir un concept important de la science économique.
La route de montagne améliorée parce que l’on construit un barrage plus haut, le rejet massif de fumées toxiques ou nucléaires dans l’atmosphère : autant de situations d’interdépendance directe dans l’utilité des individus. On observe des bénéfices ou des coûts générés par une activité économique (production ou consommation) qui affectent des agents économiques tiers sans que ceux-ci, respectivement, aient à payer un dédommagement ou ne soient compensés pour le tort subi.
Définition : on dira qu’il y a effet externe quand la décision d’un individu modifie directement le niveau de l’utilité d’au moins un autre individu, en dehors du processus d’échange sur le marché.

Nous avions rencontré la notion l’an dernier dans le cours sur l’innovation, avec externalité positive générée par l’activité de recherche et développement.
Nous nous polarisons ici sur le cas des nuisances générant des externalités négatives.

 

b) En présence d’externalité négative : le hiatus Coût privé – Coût social

Lorsqu’une firme produit sur un marché, elle supporte un coût de production appelé coût privé. Si cette production génère par exemple une pollution, cela va engendrer une désutilité croissante pour la collectivité : il y aura formation d’un coût social, élément non pris en compte par le marché et supporté par tout ou partie des membres d’une collectivité.
Ainsi, l’équilibre du marché obtenu à partir des seuls coûts privés n’est pas un point optimal : il ne permet pas une bonne affectation des ressources. Couts social > Cout privé. Les agents produisent ou consomment une quantité trop importante.

Nous ne sommes pas dans une situation optimale au sens de Pareto (V. Pareto, 1848 – 1923 est un économiste et sociologue italien.). OP : on ne peut pas améliorer la situation d’un agent en procédant à des échanges sans dégrader la situation d’au moins un autre agent. A I’optimum, coût privé et coût social sont égaux ;  intérêt particulier et intérêt général sont en phase.

En présence d’externalité négative, il y sous-optimalité. Se pose alors la question des possibilités de retrouver une situation optimale, et de ce fait traiter la nuisance. De manière à ce que coût privé et coût social soient en phase et que l’on retrouve une situation pareto-optimale.

 

c) Les différentes modalités de gestion des externalités  

Comment gérer ces externalités négatives qui affectent profondément et durablement le bien-être des populations et l’activité des entreprises qui en sont victimes ? Trois types d’outils sont proposés.

 

1/ L’économie du Bien Être propose d’internaliser les effets externes via la fiscalité et les subventions (les taxes pigouviennes)

Lorsqu’une externalité négative se manifeste, l’auteur de l’externalité ne subit aucune pénalité et tire même profit de son activité polluante tandis que la victime n’est nullement dédommagée pour le tort subi. Toutefois, les économistes ne raisonnent pas du point du vue moral (même s’il s’agit d’une injustice manifeste !) mais se placent sur le terrain exclusif de l’efficacité économique.

La fiscalité écologique est un outil puissant puisqu’elle agit sur les prix et donc sur les comportements d’individus supposés rationnels. Dans le cas d’une externalité positive, l’État devra verser une subvention afin d’encourager les comportements vertueux favorables à la collectivité. L’efficacité d’un tel dispositif d’incitation fiscale sera d’autant plus forte que les élasticités (mesurant la réactivité des comportements) des agents concernés seront élevées.
En matière de circulation automobile, il s’agira par exemple de taxer fortement le carburant, afin de limiter la circulation automobile et les nuisances afférentes (pollution, accidents, encombrement…).
Ainsi, dans le cas d’une externalité négative, les autorités doivent appliquer une taxe sur les comportements jugés nuisibles afin d’augmenter le coût privé et/ou réduire le gain individuel grâce à l’outil fiscal. Ce principe du pollueur-payeur se retrouve d’ailleurs en toute lettre dans la Charte de l’environnement adoptée en 2005 et inscrite dans la Constitution française : « Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement ».
Dans la continuité du Grenelle de l’environnement, ce principe de la fiscalité écologique avait été évoqué en 2009 à travers le projet de taxe carbone. Pourtant, cette idée d’écotaxe a été abandonnée par le gouvernement français en 2010 suite à une censure du Conseil Constitutionnel et aux craintes relatives à une éventuelle perte de compétitivité des entreprises françaises.
Dans le cas d’une externalité positive, les pouvoirs publics doivent cette fois verser une subvention afin de réduire le coût privé et/ou augmenter le gain individuel dans le but d’encourager les comportements considérés comme favorables à l’environnement (ex : subventionner les pompes à chaleur ou les véhicules électriques).
C’est également la taxe carbone aux frontières.

 

2/ L’attribution de droits de propriété : les « droits à polluer

Même si l’outil fiscal paraît doté d’une redoutable efficacité, il suppose l’existence d’un État parfaitement omniscient et véritablement soucieux de l’intérêt général.
L'économiste anglais Ronald Coase dans son article « The Problem of Social Cost » (1960) explique que l’État en présence d’externalités ne doit pas intervenir économiquement en taxant ou en subventionnant, modifiant ainsi la répartition des revenus. Coase considère qu’il suffit de définir les droits de propriété qui peuvent être échangés. C’est le marché et non l’État qui est efficace en cas d’externalités. L’État n’a à intervenir que si les droits de propriété ne sont pas respectés.
Le théorème de Coase (qui est en fait une réinterprétation par Stigler des travaux de Coase) stipule donc que tous le droits de propriété doivent être définis et pouvoir être échangés. Des compensations mutuelles aboutissent à une position optimale bien plus sûrement que ne le ferait l’intervention publique : l’efficacité économique est alors maximale et l’intervention économique de l’État est inutile.

Ce théorème a cependant inspiré le mécanisme des droits à polluer. Ce dispositif fut pour la première fois lancé aux États-Unis dans les années 1970 afin de lutter contre les émissions de dioxyde de souffre (SO2), avec un certain succès semble-il.
Dans le cadre du protocole de Kyoto adopté en 1997 destiné à lutter contre les émissions de GES, l’UE a distribué en 2005 des quotas d’émission à 12 000 sites industriels couvrant environ 40% des émissions, certains secteurs étant épargnés par la mesure, les transports notamment. Le principe est simple : si une industrie dépasse le quota autorisé, elle devra :

  • soit réduire ses émissions nocives par une baisse de sa production ou grâce à des innovations techniques
  • soit acquérir des permis d’émission au prix de marché auprès des entreprises qui se situe en-deçà du plafond autorisé.

En somme, chaque entreprise qui dépasse son plafond d’émission devra arbitrer entre dépolluer ou acquérir des permis d’émission. Plus les prix sont élevés et plus l’incitation à dépolluer pour l’entreprise est forte.
En revanche, une industrie vertueuse qui n’atteint pas son plafond d’émission pourra céder les permis d’émission dont elle dispose. Là aussi, l’incitation à limiter les émissions polluantes est forte afin d’augmenter les gains.
C’est en fonction de l’intensité de la demande (industries situées au-delà du plafond autorisé) et de l’offre (industries situées en-deçà du plafond autorisé) que doit se fixer le prix de la tonne de carbone.


3/ La règlementation

Dans le cas d’une pollution générant des dommages extrêmes et irréversibles pour l’environnement, les pouvoirs publics ou la communauté internationale peuvent opter pour une interdiction pure et simple de certains produits grâce à une législation idoine. Ce fut le cas en 1987 vis-à-vis des CFC accusés de détruire gravement la couche d’ozone, contribuant au refroidissement climatique. C’est ainsi que le Protocole adopté à Montréal cette année-là contribua à réduire de façon drastique l’usage de ce gaz particulièrement nocif.
Autre exemple dans le domaine automobile : il concerne l’interdiction progressive du plomb dans l’essence depuis 2000. Toujours dans le même secteur d’activité, la législation environnementale conduit à réduire progressivement le plafond des émissions de CO2 générées par les véhicules.
C’est en 2004 que l’UE adopte la directive REACH qui renverse la charge de la preuve en matière de risque industriel. Désormais, ce n’est plus aux usagers de prouver la dangerosité des produits, mais c’est à l’industriel d’apporter la preuve de l’innocuité des produits qu’il propose aux consommateurs. Cette directive se rapproche d’ailleurs assez fortement du Principe de précaution adopté en France en 2005.
C’est le Bisphénol qui va être retiré du marché, au vu de ses effets potentiellement néfastes sur la santé humaine. C’est l’interdiction à la vente des véhicules neufs à moteur thermique dans l’UE en 2035 ( ?).
Ou encore l’interdiction de commercialiser des voitures neuves à moteur thermique en 2035 dans l’UE.

Dernière partie... l'année prochaine : rendez-vous fin septembre.