2) La durabilité forte est plus proche de l’Economie écologique

L'idée centrale du concept de durabilité « forte » ou écologique est de distinguer de façon irréductible la sphère naturelle du champ économique et social, tout en prenant en compte leurs interactions mutuelles.
En effet, les pressions sur l'environnement dépendent de l'évolution des rapports sociaux : l'extension de l'appropriation privée des ressources naturelles peut conduire à leur épuisement.
Dans l'acception maximaliste du paradigme écologique, il faut attribuer une valeur intrinsèque (ou valeur d’existence) aux êtres naturels et à la biosphère indépendamment de leur utilité économique et sociale. Dans une variante plus modérée, il suffit de prendre en compte les principales particularités des ressources environnementales : irréversibilité de certains dommages, incertitude des phénomènes de long terme (Principe de précaution).
Ces caractéristiques impliquent que les ressources environnementales et le capital physique et humain ne sont pas parfaitement substituables. D’une certaine manière, le capital naturel se doit d’être sanctuarisé et sa conservation exige le respect de certaines contraintes que les instruments économiques habituels ne peuvent garantir à eux seuls. Dans cette perspective, la question des limites naturelles de la croissance économique se pose avec une acuité toute particulière.

Exemples permettant d’illustrer cette conception :

  • Les zones Natura 2000 adoptées en France et au niveau européen visent à sanctuariser certains sites naturels (préservation du capital naturel) du fait de leur fragilité ou de leur spécificité. Il en existe plusieurs milliers en France
  • La Loi Littoral instaurée en France en 1986 a pour but de protéger la côte des excès de la spéculation immobilière afin de permettre le libre accès du public aux sentiers littoraux.


3) Il ne faut pas opposer stérilement les deux approches

 

 

 

Idée-clé

Conséquence

Terme-clé

Enjeu du DD

 

Durabilité forte

Capital naturel et capital construit ne peuvent être substitués de manière parfaite

Certaines actions humaines conduisent à des irréversibilités

 

Capital naturel critique

Préserver les stocks de capital naturel irremplaçable

 

Durabilité faible 

 

Capital naturel et capital construit sont parfaitement substituables

 

La somme du capital naturel et capital construit doit être maintenue constante

 

 

Allocation optimale des ressources

Trouver des solutions techniques dites « propres » pour remplacer produits et procédés ou restaurer l’environnement

 

Ce sont des catégories qui peuvent être utiles pour la réflexion mais ne sont pas vraiment des concepts.

  • La soutenabilité faible serait l’apanage des économistes de l’environnement [§2 l'an passé]
  • La soutenabilité forte serait la marque de l’économie écologique


La place de la technique est intéressante du point de vue de ces deux approches.

  • Pour les tenants de la soutenabilité faible, elle est souvent le levier qui permettrait de substituer du capital technique à un capital naturel défaillant ;
  • Face à l’existence d’irréversibilités, certains prennent le contrepied et dénoncent tout recours à la technique pour affronter le changement climatique.Le techno-solutionnisme permettrait à la limite de changer sans rien changer.


Cette opposition est stérile par son manichéisme. Le recours au solaire est bridé par la le caractère archaïque des systèmes de stockage disponibles ; une innovation technologique majeure en matière de stockage est nécessaire (mais ne résoudra pas tout).
La technologie de la pompe à chaleur (largement éprouvée) permet de remplacer nombre de vieilles chaudières aux combustibles fossiles.
Etc.

La technique est dans le mix de solutions, ni unique ni absente.

 

Ainsi, l’économie écologique cherche à élargir l’horizon temporel de l’économie de l’environnement, réintroduit le bien-être là où depuis trente ans la question de l’efficacité productive avait tout monopolisé.
Elle articule l’approche économique avec les autres sciences sociales et les sciences dites dures. Elle réencastre l’économie dans un système plus grand, la biosphère, dont elle dépend.
En ce début de XXI° siècle, l’économie est rattrapée par la physique et la biologie ; elle doit se réencastrer dans la physique et la biologie dont elle s’était émancipée.


D. Un cadrage global des enjeux de la décarbonation à l’aide de l’identité de Kaya

Il s’agit ici d’apporter un cadrage global sur la question des émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES),  dioxyde de carbone (CO2, 70% GES) et le méthane (CH4, 25%), et la carbonation de l’économie et la décarbonation. Quels sont les ordres de grandeur ?
Le cadre de référence : l’identité de Kaya
Yoichi Kaya, économiste japonais et chercheur en politique énergétique, développe cette équation en 1993 dans son ouvrage Environment, Energy, and Economy : strategies for sustainability.

 

L'identité de Kaya est utilisée par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), par l’Agence internationale de l’énergie.
Ce n’est pas un modèle climatique mais elle nous fournit un cadre cohérent de réflexion.

1) La construction de l’identité

Partons d’une identité tautologique  :   GES = GES

 

a) Première étape de décomposition

GES  = (GES / énergie primaire) x énergie primaire

 

L’émission de GES = contenu carboné de l’énergie x quantité d’énergie primaire consommée

Energie primaire (définition INSEE) : L'énergie primaire est l'ensemble des produits énergétiques non transformés, exploités directement ou importés. Ce sont principalement le pétrole brut, les schistes bitumineux, le gaz naturel, les combustibles minéraux solides, la biomasse, le rayonnement solaire, l'énergie hydraulique, l'énergie du vent, la géothermie et l'énergie tirée de la fission de l'uranium.

(GES / énergie représente) l’action des ingénieurs pour produire une énergie décarbonée*, leur savoir-faire pour augmenter la part des énergies décarbonées dans l’offre énergétique

 

* Énergie décarbonée : nucléaire + énergie renouvelable (bien que le terme soit impropre du point de vue de la physique), i.e  biomasse > hydroélectricité > éolien > solaire

 

b) Deuxième étape de décomposition


GES = (GES/ énergie primaire) x (énergie primaire / PIB) x PIB

 

(Énergie primaire / PIB) représente l’intensité énergétique de la production
C’est le savoir-faire des ingénieurs pour proposer des produits plus économes en énergie (fabrication et usage)