1. Le chômage : histoire d’une notion

 

A. Le chômage est inventé à la fin du XIXème siècle pour distinguer dans la relation salariale qui se met en place les salariés privés d'emploi par les crises des autres pauvres…

 

Le chômage est une construction historique et sociale propre à nos sociétés occidentales qui découle d’un processus qui s’est fait principalement à la fin du XIXe au début du XXe siècle et dans les années trente.

 

L’apparition du chômage relève bien d’une invention (L’invention du chômage, R. Salais et B. Reynaud, PUF, 1986) et non pas d’une simple prise de conscience d’une nouvelle réalité, ni d’une nouvelle appellation d’une réalité très ancienne, le manque de travail, qui aurait pris des dimensions particulièrement importantes avec l’industrialisation4. On peut même aller jusqu’à affirmer que le « chômage » a été la catégorie centrale de la formulation de la question sociale au XXe siècle (la pauvreté dans des société riches, la pauvreté comme un fait de société causé par le système social et/ou mettant en péril le système social) R Castel, Les métamorphoses de la question sociale, 1995

 

1) Les prémices de la situation de chômage

Le verbe «chômer» apparaît dans la langue française au XIIème siècle et le substantif «chômage» au XIIIème siècle. Montaigne remarque dans Les Essais (fin XVI° siècle) que nous utilisons souvent les raisonnements des autres «et laissons chomer les nostres»

 

Un siècle plus tard, dans la fable «Les membres et l'estomac», La Fontaine (XVII° siècle) fait dire aux organes du corps lassés de travailler pour l'estomac, «Chômons, c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre».

 

Jusqu'au XIXème siècle, le chômage désigne «l'espace de temps qu'on est sans travailler», quelle que soit l'origine de cette absence de travail et celle-ci concernant aussi bien les hommes que les lieux de production (atelier, moulin, canal, champ...). De ceci subsiste la notion de jour et de fête chômés.

 

2) La pauvreté a longtemps occulté la notion de chômage

Dans la préface de son Projet de Dîme royale (toute fin du XVII° xiècle), Vauban dresse un tableau de la société de son temps.

 

  • Un dixième de la population «est réduite à la mendicité, et mendie effectivement»
  • ,tandis que la moitié des habitants «ne sont pas en état de faire l'aumône, parce qu'eux-mêmes sont réduits, à très peu de chose près, à cette malheureuse condition».

Du XVIème siècle à la fin du XIXème siècle, la société est confrontée à une pauvreté permanente qui s'exacerbe lors des crises d'abord agricoles puis industrielles.

 

Cependant, la société distingue deux catégories de pauvres.

  • La première rassemble les pauvres appartenant à la communauté qui méritent d'être secourus parce qu'ils ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins vitaux : orphelins, veuves avec enfants, vieillards, invalides, malades... Ils bénéficient d'une forme de «tutelle sociale», organisée en France par les paroisses, les Sociétés de secours, l'Hôpital Général... et en Angleterre par les lois sur les pauvres (Poor Laws).
  • La deuxième catégorie de pauvres regroupe l'ensemble hétérogène de ceux qui échappent aux structures sociales de contrôle et d'aide aux indigents : le vagabond, la prostituée, le cheminot... Non seulement ils n'ont pas de travail mais, et c'est l'essentiel, ils sont en rupture avec leur communauté d'origine. Ce sont les «sans état», les «inutiles au monde», «ceux qui demandent chaque jour leur pain au hasard et non au travail, les inconnus de la misère et du néant, les bras nus, les pieds nus» (Victor Hugo, Les misérables, 1862)). Pour eux point de secours, mais la prison, les galères, le bagne ou la pendaison s'ils ont commis des délits.

 

Jusqu'à la fin du XIXème siècle, la représentation sociale du pauvre est tellement prégnante que le chômeur, au sens de celui qui n'a pas de travail, est inclus dans la masse des pauvres et ne s'en distingue pas. Fait révélateur, il n'y a pas de chômeur dans Les Misérables, paru en 1862, mais que Victor Hugo commence à rédiger au milieu du XIXème siècle.

 

Il faut attendre Emile Zola pour que la figure moderne du chômeur entre dans la littérature, dans Germinal (1885), L'Assommoir (1976) et dans une nouvelle au titre explicite «Le chômage», reprise dans les Nouveaux contes à Ninon (1893).

 

A la différence de la pauvreté, le chômage et le chômeur sont peu présents dans la littérature, Les raisins de la colère de John Steinbeck (1938) constituant une exception..

 

De façon plus surprenante, le phénomène du chômage n'est également pas étudié par les économistes du XIXème siècle. Le terme chômage est absent des deux livres fondateurs de la science économique moderne, La richesse des nations d'Adam Smith (1776) et Des principes de l'économie politique et de l'impôt de David Ricardo (1817), courant Classique.

 

Le chômage apparaît chez Marx dans la seconde moitié du XIXème siècle sous la forme de «l'armée industrielle de réserve» mais ne constitue pas un objet d'étude en soi ; il s'inscrit dans les lois de l'accumulation capitaliste qui expliquent la loi «d'airain» des salaires et conduisent à la paupérisation du prolétariat.