C. Le paradigme schumpétérien de la destruction créatrice

Joseph Aloïs Schumpeter (1883 - 1950) est un économiste autrichien qui se différencie par l’originalité de sa pensée (hétérodoxe). Elève d’auteurs fondateurs de la pensée néoclassique, il n’en reprend pas la théorie (l’économie de l’équilibre) mais en retient la doctrine favorable au libéralisme permettant l’initiative individuelle. Il n’en avoue pas moins son admiration pour Marx dont tout le sépare politiquement : il lui reconnaît avoir posé les vraies questions quant à la dynamique économique, du capitalisme en particulier.

 

Ministre des Finances de l’Autriche, banquier, universitaire, il se réfugie aux États-Unis en 1932. L’essentiel de ses études porte sur la dynamique du capitalisme à travers le rôle du progrès technique et de l’innovation dans l’explication de la croissance et des crises.

 

Il s’intéresse au devenir du capitalisme et à l’explication de sa dynamique. Ses travaux ont retrouvé de l’importance avec la crise à partir des années 1970.

 

1) La croissance économique s’explique par le jeu de l’innovation et du progrès technique

 

a) Sans innovation, l’économie est stationnaire (croissance zéro)

 

1/ Schumpeter critique la vision néoclassique en termes d’équilibre

Pour les néoclassiques, l’économie est conçue comme un ensemble de marchés interdépendants : l’équilibre sur chaque marché est supposé réalisé (on parle d’équilibre général walrasien du nom de Walras qui fin XIX° siècle exprime cette théorie).

 

Un déséquilibre sur un ou plusieurs marchés peut être résorbé grâce à la flexibilité des prix, sous hypothèses de concurrence pure et parfaite (les agents économiques sont supposés « preneurs de prix », le prix de marché s’impose aux agents qui n’ont pas de capacité à influencer le marché, c’est-à-dire les prix).

 

L’économie chemine d’équilibre en équilibre.

 

2/ Les néoclassiques, comme les classiques, décrivent une économie d’échange où la croissance est nulle

Dans ces analyses, les agents économiques ont des comportements rationnels calculateurs : le producteur maximise son profit compte tenu de ce que souhaite le consommateur, le consommateur maximise sa satisfaction en consommant des produits offerts par les producteurs.

 

Les comportements décrits sont routiniers et ne donnent pas de place centrale à la nouveauté qui par nature rompt l’équilibre et provoque le déséquilibre dans l’économie. Ces analyses de la réciprocité et de l’échange décrivent une économie où la croissance est nulle à long terme (on parle d’état stationnaire) : la nouveauté n’a pas de véritable place. Il n’y a pas d’entrepreneur pour parier sur l’évolution de la demande future, pas de profit (le profit à long terme est situation concurrentielle), il n’y a pas de crise mise en scène).

 

b) La dynamique du capitalisme s’explique par des changements profonds dus à des innovations

Pour, Schumpeter, le déséquilibre est l’état normal de l’économie et non l’équilibre comme pour les néoclassiques. L’innovation est une rupture majeure endogène (expliquée par l’action des agents économiques). Il s’agit d’innovations majeures (innovations de grande ampleur introduisant une rupture), et non d’innovations mineures (apportant de simples améliorations aux produits ou aux procédés existants). Schumpeter distingue cinq types d’innovations. (La théorie de l’évolution économique, 1911) :

  • « La fabrication d’un bien nouveau, c’est-à-dire encore non familier au cercle des consommateurs, ou d’une qualité nouvelle d’un bien.
  • L’introduction d’une méthode de production nouvelle, c’est-à-dire pratiquement inconnue de la branche intéressée de l’industrie ; il n’est nullement nécessaire qu’elle repose sur une découverte scientifique nouvelle et elle peut aussi résider dans de nouveaux procédés commerciaux pour une marchandise.
  • L’ouverture d’un nouveau débouché, c’est-à-dire d’un marché où jusqu’à présent la branche intéressée de l’industrie du pays intéressé n’a pas encore été introduite, que ce marché ait existé avant ou non.
  • La conquête d’une nouvelle source de matières premières ou de produits semi-ouvrés ; à nouveau, peu importe qu’il faille créer cette source ou qu’elle ait déjà existé antérieurement, qu’on ne l’ait pas prise en considération ou qu’elle ait été tenue pour inaccessible.
  • La réalisation d’une nouvelle organisation, comme la création d’une situation de monopole ou l’apparition d’une situation brusque de monopole ».

 

c) L’innovation explique les fluctuations économiques

L’innovation donne sa dynamique au capitalisme avec la croissance du PIB en volume depuis deux siècles, mais aussi en étant à l’origine des fluctuations économiques (on parle aussi de cycles économiques bien que l’expression cycle donne l’idée d’une régularité, d’une périodicité des évolutions) : phases successives de forte croissance et de croissance faible, voire de récession.

 

Schumpeter connaît les travaux sur les fluctuations et les cycles. Il pense retrouver une périodicité de type Kondratiev mais basée sur le progrès technique. Il renonce finalement à la périodicité attendue : les innovations majeures n’apparaissent pas avec la régularité un peu naïve du Kondratiev. Restent donc des fluctuations longues sans la périodicité (la régularité).

 

1/ L’expansion est marquée par l’apparition d’innovations en grappes

Une innovation seule ne peut pas enclencher une phase de croissance : une innovation réussie en suscite d’autres, attire d’autres entreprises animées par la recherche du profit. Les innovations majeures vont permettre à toute une foule d’innovations secondaires, mineures, de se diffuser et de créer des produits nouveaux et de nouveaux procédés générant des occasions de profit stimulant l’activité économique. « L’apparition en grappes de nouvelles combinaisons explique sans artifice les traits fondamentaux de la période d’essor. Elle explique pourquoi les dépôts croissants de capital sont le tout premier symptôme de l’essor commençant. (…) Elle explique l’apparition massive d’un nouveau pouvoir d’achat, par la hausse caractéristique des prix des périodes d’essor. Elle explique en outre le recul du chômage et la hausse des salaires, la hausse du taux de l’intérêt, l’augmentation du fret, la tension croissante des situations bancaires. » J.A. Schumpeter, La théorie de l’évolution économique, 1911

 

La dynamique de l’offre est forte. Il privilégie les explications réelles de la croissance et des crises.